Brève histoire du progrès social
Débutée en Angleterre à la fin du dix-huitième siècle avec l’apparition de la machine à vapeur de Watt, la révolution industrielle va s’étendre aux pays voisins avant de s’exporter outre atlantique. Elle est responsable d’un changement considérable dans la manière de produire et de consommer : d’un artisanat servi par la force des hommes on évolue vers une ère industrielle où les machines permettent d’accélérer la production de biens manufacturés. Cette production de masse nécessite d’avoir une main d’œuvre disponible à proximité d’où la création des cités ouvrières. En effet, cette augmentation de la production par la rationalisation du travail fait chuter les prix et nombre d’artisans isolés ne peuvent soutenir la concurrence. Les bouleversements sociaux et économiques sont importants, la migration de familles entières conduit à une modification de l’urbanisme : étalement urbain, densification. Les conditions de vies sont éprouvantes du fait de logements insalubres. Ce thème sera relayé au dix-neuvième siècle par les écrivains naturalistes comme Emile Zola (Germinal), Victor Hugo (Contemplations) mais surtout Charles Dickens dont les œuvres (Oliver Twist, De Grandes Espérances) seront nourries par une enfance difficile. Tous les membres de la famille travaillent, de la mère de famille aux enfants, même très jeunes. Le travail des enfants est un aspect emblématique des combats pour le progrès social : ce sont les personnes les plus fragiles et les plus facilement exploitables. Peu après cette première révolution industrielle axée sur l’exploitation des mines de houille et son application dans la machine à vapeur et donc dans le chemin de fer, survient dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle une seconde révolution profitant de la découverte de l’électricité et du pétrole. Cette époque sera également marquée par une capitalisation accrue des sociétés : les patrons recherchent des investisseurs et les entreprises se titrisent pour augmenter leurs capitaux. Le cercle pourrait d’un premier abord paraître vertueux, mais si aujourd’hui un peu moins des deux-tiers de la richesse produite vont aux salariés, il n’en était pas de même à l’époque. Apportons une précision sur ces chiffres. La richesse produite correspond à la valeur ajoutée par l’entreprise pour un produit ou un service. Cette valeur ajoutée correspond elle-même à la production diminuée des coûts intermédiaires. Le cumul des valeurs ajoutées de toutes les entreprises forme le PIB. Or, en France, si les premières réflexions sur cet indice qui permettront sa mise en place dans le futur commencent à la fin du dix-huitième siècle, les séries de comptes permettant de mesurer la croissance de l’activité économique, elles, ne débutent qu’en 1949. Ainsi, pour des années antérieures à 1949 seront utilisés les travaux d’Angus Maddison. Ce sont certes des chiffres à posteriori et donc potentiellement tronqués (du fait du manque de précisions des données) mais avec toute l’objectivité d’un recul tri centenaire.
L’injustice Française (1800 – 1850)
Profitant d’une opacité juridique et d’une période politiquement instable (entre 1800 et 1850, se succèderons un empire et trois monarchies), les dirigeants et actionnaires de ces sociétés du secteur primaire et secondaire ne vont assurer qu’un faible développement des conditions de vies de leurs salariés, encouragés par l’établissement par l’état d’un pacte de non intervention dans la relation patron - ouvrier au nom de la liberté économique. De plus, le Premier Empire loin de favoriser les ouvriers inscrira dans le code pénal le délit de grève en prévoyant des peines de prison pour les contrevenants. La seule avancée positive réalisée durant cette période est la création d’un conseil de prud’hommes, à Lyon, en 1806. L’interdiction des syndicats et un paternalisme patronal important ferme toutes possibilités d’évolution pour les ouvriers. Par ailleurs, les contestations salariales sont violemment réprimées par les forces de l’ordre en France, Grande-Bretagne, Allemagne : révolte des Canuts en 1831, journées de juin 1848… La plus grande particularité du syndicalisme français va être une forte politisation et une naissance violente – tous les évènements cités plus hauts se solderont par de nombreuses morts, environ trois cent pour la révolte des Canuts.
Développement du progrès social
Avant d’aller plus loin, arrêtons-nous sur le concept de progrès social. Ce dernier peut paraitre très vague au regard de la pléthore de notions englobées. D’une manière tranchée, il serait possible de prendre la Révolution française comme charnière du progrès social ; la mesure est à nuancer. En effet, si la DDHC marque un tournant en édictant des droits justes, diverses mesures prises dans les années suivantes comme la loi Le Chapelier ou le décret D’Allarde écartent l’idée de Montesquieu de « corps intermédiaires », à savoir les syndicats. De plus, ces lois interdisent les grèves, les regroupements d’artisans et d’ouvriers, les corporations, sans pour autant faire de même avec les trusts et autres associations patronales. En cela, on peut dire que bien qu’ayant été prises après la révolution, ces lois furent injustes et réduisirent les droits des salariés tout en posant les bases d’un renouveau : ces corporations étaient devenues un obstacle à une démocratie future de par leur implication en politique. Après la période Charles X qui est marquée par un retour du rigorisme et s’achève lors des Trois Glorieuse, son cousin, Louis-Philippe qui monte sur le trône. C’est sous son règne que sera promulguée la première loi encadrant le travail, le 22 mars 1841. Près d’un demi-siècle après le début de la première révolution industrielle, l’état fait une entorse au principe de non intervention dans les relations ouvriers – patronat et encadre le travail des enfants. En l’absence d’inspecteurs du travail et avec des familles elles-mêmes réticentes à se voir priver d’une partie de leurs revenues, les effets de cette loi sont tout de même à mesurer. Le problème du salaire des ouvriers demeure ; les mentalités doivent évoluer.
Le changement (1850 – 1884)
Le changement va s’installer à partir de la deuxième révolution industrielle, dans la seconde moitié du dix-huitième siècle. Bien que grèves et syndicats soient toujours interdits, des sociétés d’entraides naissent spontanément. Partant du principe qu’un ouvrier qui ne possède que sa force de travail ne peut négocier avec son patron, le regroupement de plusieurs ouvriers permet alors d’une part de rééquilibrer la balance de la lutte des classes intrinsèque à l’entreprise et d’autre part un soutien moral et financier aux ouvriers. L’évolution est en marche et en 1864, la loi Ollivier abroge le délit de coalition et instaure le droit de grève. Ce dernier est néanmoins précaire car toute grève rompt le contrat de travail de l’ouvrier et le met potentiellement au chômage, d’autant que l’afflux dû à l’exode rural est important et qu’il est facile de remplacer un ouvrier peu qualifié par un autre. La défense des droits des ouvriers est à améliorer. Un changement décisif sera apporté par Pierre Waldeck-Rousseau : en 1884, la loi éponyme autorise les syndicats en abrogeant la loi Le Chapelier. Pourtant, en 1871, un coup terrible est porté aux milieux du syndicalisme naissant : la Commune. Si le soulèvement fut une démonstration des capacités de rassemblement des slugées, la Semaine Sanglante qui clôtura ces deux mois vit tomber nombre de têtes pensantes socialistes, marxistes et anarchistes. C’est le début d’un siècle de contestation et de lutte.
Les revendications syndicales (1884 - 2015)
La situation politique de la France, bien qu’instable du fait d’un mode de scrutin favorisant les blocages législatifs permet une démocratie suffisante à l’épanouissement des syndicats. En 1891, la première convention collective entre syndicats et patronat est signée suite à des grèves dans le milieu ouvrier. Deux ans à peine se sont écoulés après la loi Waldeck-Rousseau que la Fédération Nationale des Syndicats (FNS) voit le jour, extrêmement politisée, empreinte de valeurs socialistes (Jules Guesde). C’est ce patrimoine qui entrainera en 1895, la disparition au profit notamment la Confédération Nationale du Travail (CGT). Les progrès sociaux, jusqu’alors très lents vont s’accélérer : le 2 novembre 1892 est votée une loi organisant les inspecteurs du travail et encadrant encore un peu plus le travail des femmes et des enfants ; le 9 avril 1898 une loi implique la responsabilité du patron en cas d’accident d’un ouvrier sur le lieu de travail. Cette dernière mesure est remarquable car elle humanise les ouvriers qui ne sont dès lors plus « les choses » de leurs patrons. En 1906, un repos de 24 heures consécutives par semaine est voté, et en 1910, le code du travail est promulgué, toujours en vigueur de nos jours réglementant et encadrant les relations entre salarié et patron. On remarque donc une accélération flagrante du rythme des réformes après la légalisation des syndicats. Mais est-ce seulement grâce à eux ? De par les contestations spectaculaires, on observe ainsi près de 3,3 millions de jours de grève en 1970 dont plus des deux-tiers dans le secteur des mines et de l’industrie lourde, secteur dans lequel les progrès seront les plus longs à venir, mais pas seulement : les conditions économiques jouent un rôle important dans le progrès social et donc dans les revendications syndicales. En effet, à partir des années 70 les conditions sociales vont se dégrader non pas du fait d’une restriction des libertés mais du fait d’une dégradation de la situation économique qui entraine les entreprises à restreindre les avantages accordés aux salariés.
En bref...
Puisant leurs racines dans les confréries du Moyen-âge (les corporations), les syndicats sont finalement autorisés en 1884, une vingtaine d’années après le droit de grève. C’est à partir de la date de leur légalisation que les lois améliorant le travail des ouvriers se succèdent alors que les progrès étaient très lents avant la loi de Waldeck-Rousseau. C’est à partir de la seconde moitié du 19ème siècle que les syndicats prennent leur véritable essor sous les 1ère, 2ème et 3ème républiques. Ils offrent alors un contre-pouvoir unissant les salariés contre le pouvoir absolu du patronat. Pour qu’il y ait progrès social, le salaire des employés doit augmenter, et donc l’équilibre entre rémunération du capital et rémunération salariale. Là est le rôle des syndicats : un relatif équilibre de la répartition des bénéfices de l’entreprise. Mais leur rôle ne s’arrête pas là : envers l’état sera dirigé des protestations dans le but d’obtenir des lois de protection sociale : la Sécurité Sociale, la pénibilité du travail, le travail des mineurs... n’en sont que les plus emblématiques. La démocratie est la condition sine qua non d’existence des syndicats et permet en elle-même un progrès social. De plus, ce progrès social n’est pas perpétuel mais tend vers une limite : à trop revendiquer, les syndicats ont tout à y perdre, à commencer par les entreprises qui sont à la base du progrès social car créatrices de richesses par l’exploitation du travail humain (c’est le capitalisme).